Pourquoi et comment agir contre le sexisme en entreprise ?
Quelles obligations pour les entreprises ? Quels moyens déployer ?
« nommer c’est dévoiler et dévoiler c’est déjà agir… »
Simone de Beauvoir
L’agissement sexiste a fait son entrée dans le code du travail en 2015 avec la loi « Rebsamen »[1]. La loi « Travail »[2] a renforcé les obligations de l’entreprise et le rôle du CHSCT sur ce sujet.
Les « ordonnances Macron » du 22 septembre 2017 ont conservé ces dispositions[3], transférant au futur comité social et économique « CSE » la possibilité de proposer des actions de prévention des agissements sexistes.
Revenons sur ces avancées législatives pour en préciser le contenu, et s’interroger sur la manière dont l’entreprise, à travers la direction, le service Ressources Humaines (RH), les managers et les représentants du personnel peuvent – doivent ! – s’en saisir.
Car sans actions volontaires, engagées, partagées, l’inscription de la définition et du principe de prévention dans le code du travail sera de maigre effet !
I – Le sexisme en entreprise : un environnement juridique qui s’étoffe
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L’agissement sexiste : le définir était indispensable !
Pour condamner, en droit, il faut savoir exactement ce qui peut l’être.
Or, en l’absence d’une définition précise et circonscrite, un agissement sexiste échappait jusqu’à présent à toute sanction.
Certains faits notamment ceux appelés « sexisme ordinaire » passaient à travers les mailles du filet ; il fallait soit :
– que les propos ou le comportement reprochés soient répétés et suffisamment graves pour pouvoir être considérés comme du harcèlement moral,
– que ces propos ou comportement soient répétés et aient une connotation sexuelle, pour être qualifiés de harcèlement sexuel.
– que ces actes entrent dans le champ de la discrimination : en soi, l’agissement sexiste porte le germe de la discrimination puisque le comportement, les propos tenus s’appuient sur une différence entre les sexes. Toutefois les conditions fixées par le législateur ne permettaient pas d’isoler l’agissement sexiste en lui-même.
Prévenir et agir contre les agissements sexistes est pourtant essentiel dans la lutte contre les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Ils sont à l’origine de phénomènes de déstabilisation, de délégitimation, d’infériorisation, qui débouchent sur une perte de confiance de ceux ou de celles qui ont sont la cible.
Les 2 sexes, hommes et femmes sont concernés ; toutefois, force est de constater que c’est une situation qui touche en très grande majorité les femmes[4].
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Passage en revue des principaux outils législatifs
Plusieurs lois sont venues tour à tour donner des outils pour lutter contre les agissements sexistes.
- La loi donne une définition
L’agissement sexiste est « un agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».[5]
- La loi interdit l’agissement sexiste
Dans le même article[6] il est indiqué que « nul ne doit subir d’agissement sexiste »
Comme ce qui est interdit est sanctionnable, l’auteur d’agissement sexiste peut faire l’objet d’une sanction. La loi ne prévoit pas laquelle.
Il faudra se référer au règlement intérieur[7] pour connaître les sanctions possibles dans l’entreprise.
Un tel comportement peut, suivant les circonstances, justifier un licenciement pour faute grave (sans préavis, ni indemnités).
La sanction reste civile ; ce n’est pas une infraction pénale.
- La loi introduit cette notion dans le règlement intérieur[8]
Le règlement intérieur doit rappeler outre les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel, celles se rapportant également aux agissements sexistes.
- La loi donne au CHSCT et demain au comité social et économique[9] la possibilité de proposer des actions de prévention des agissements sexistes. Le refus de l’employeur est motivé.
- La loi oblige l’employeur à planifier des actions de prévention[10]
Dans le cadre de son obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur doit prendre des mesures de prévention. La planification des actions dans ce cadre doit intégrer les risques liés aux agissements sexistes.
- La loi[11] considère que les actions de « promotion, de la mixité dans les entreprises, de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » sont des actions de formation qui entrent dans le champ des dispositions relatives à la formation professionnelle continue. Elles peuvent donc être prises en charge par les OPCA.
II – Un dispositif législatif nécessaire, loin d’être suffisant
Il ne suffit pas d’interdire pour que du jour au lendemain les comportements des individus se modifient. La Police n’aurait pas dit mieux !
La réussite d’un tel dispositif – ou en tout cas des avancées significatives qui seraient … le recul des comportements et agissements sexistes dans le milieu professionnel – repose sur différents paramètres parmi lesquels :
– la volonté affichée de la direction générale/RH, consistant à mettre des actions réelles en œuvre.
– l’engagement à ses côtés de l’ensemble des représentants du personnel
– une prise de conscience de toutes les collaboratrices et tous les collaborateurs de l’entreprise.
- Tous les acteurs de l’entreprise sont concernés et doivent être impliqués : direction, RH, management, représentants du personnel, collaborateurs/collaboratrices
Si tous les acteurs sont concernés sans nul doute, les messages qui leur sont adressés sont différents.
- Pour la direction, générale/RH et les managers, il est nécessaire de les informer des responsabilités encourues en cas d’inaction.
Rester insensible aux témoignages et remontées du terrain, nier les phénomènes de sexisme, sont des postures à oublier. La passivité est exclue et ne pas agir est condamnable !
L’inaction peut en effet engager la responsabilité de celui ou de celle qui pouvant agir, est resté inerte. La Cour de Cassation[12] a validé il y a peu le licenciement d’une DRH qui n’avait rien entrepris alors que travaillant en étroite collaboration avec le directeur de l’établissement, elle avait eu connaissance des agissements inacceptables de ce dernier. Les juges ont relevé que sa fonction lui conférait une mission particulière et qu’elle devait veiller au climat social et aux conditions de travail « optimales » des collaborateurs. Pour les juges, son abstention a mis en danger tant la santé physique que mentale des salarié.es. concerné.e.s.
Rappelons que l’employeur a l’obligation de préserver la santé et la sécurité de ses employé.e.s. Si depuis l’arrêt « Air France »[13], la Cour de Cassation a assoupli ses exigences en la matière, il n’en reste pas moins qu’elle attend de l’entreprise qu’elle mette des moyens conséquents et adaptés pour assurer la sécurité de l’ensemble de ses employé.e.s, La responsabilité de l’employeur ne pourra être écartée qu’à l’appui de réels efforts menés en ce sens.
- Pour les représentants du personnel il est nécessaire également, de rappeler le rôle qu’il leur est attribué par la loi
- Aux délégués du personnel, le droit l’alerte
- Aux délégués syndicaux, le pouvoir de négocier et de signer des accords sur l’égalité professionnel entre les femmes et les hommes ; de tels accords pourraient intégrer utilement des mesures en faveur de la lutte contre les agissements sexistes
- Au comité d’entreprise, l’information et la consultation sur la politique d’emploi dans lequel s’intègrent des indicateurs sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Même si la loi ne prévoit pas de mission particulière sur les agissements sexistes, leur impact sur la place de chaque individu, notamment des femmes, dans une organisation conduit à ce que le comité d’entreprise reçoive toute information sur les actions menées sur le sujet.
- Au CHSCT, le moyen d’être force de proposition dans le cadre du plan de prévention des risques professionnels.
Ces différentes missions sont reprises et attribuées au futur Comité Social et Économique qui regroupe et remplace l’ensemble des instances représentatives du personnel, hormis le délégué syndical qui reste à part[14].
Il convient de souligner que le CSE ne dispose plus dans les entreprises de moins de 50 salariés, du droit d’alerte jusqu’alors confié aux délégués du personnel. Ce droit d’alerte permet de saisir l’employeur de toute situation portant atteinte aux droits des personnes, avec obligation pour ce dernier de mener une enquête, C’est un changement regrettable mais qui ne doit pas remettre en question le fait que dans toute entreprise, quelle qu’en soit la taille, tout salarié, directement ou par le biais d’un de ses représentants, peut porter à la connaissance de l’employeur toute situation qui porterait atteinte à ses droits, dont fait partie l’agissement sexiste.
En pareille situation, l’employeur sera bien inspiré de déclencher une enquête et d’y associer un membre du CSE.
– Pour les collaboratrices et des collaborateurs, il s’agit de leur apprendre à identifier les agissements sexistes pour les combattre, les dénoncer ou …ne pas en être l’auteur.e.
Il s’agit aussi de faire prendre conscience que de tels actes, souvent banalisés, intégrés dans son environnement quotidien professionnel, sont inacceptables.
Raconter des blagues sexistes, faire des compliments accompagnés de regards ou de clins d’œil salaces, couper délibérément – ou inconsciemment – la parole à une femme parce qu’elle est femme, et oui c’est tout cela, et plus encore, les agissements sexistes, est tout simplement interdit.
La personne qui s’adonne à ces propos ou ces comportements sexistes n’a peut-être pas conscience du malaise qu’elle provoque. Appeler son assistante « ma petite », « ma chérie » peut sembler sympathique, amical, affectueux… sauf que ces mots « gentils » infériorisent, infantilisent, mettent le plus souvent mal à l’aise et en final marginalisent ou auto marginalisent la personne qui en est la cible.
Les messages à faire passer après avoir défini l’agissement sexiste en le démarquant d’autres comportements « voisins » comme le harcèlement sexuel (interdit !) ou la drague (autorisée !), sont clairs : pas d’agissement sexiste dans l’entreprise, à défaut, sanction !
- A chaque acteur, des actions et des moyens pour prendre conscience et agir
- La direction générale, les RH et les managers : la conscience de leur responsabilité doit les amener à agir avec détermination
Leur action se situe à 2 moments :
– en amont : la prévention
- Sensibiliser, former l’ensemble du personnel, y compris les membres de la direction l’équipe RH et les managers.
– Le rôle des équipes RH est fondamental. Il leur appartient de définir les actions idoines et d’initier toute proposition en y associant très étroitement les représentants du personnel. Ils ont en charge la mise en œuvre des actions et leur suivi.
– Les moyens seront suffisants et adaptés, avec une attention particulière à la communication.
- Faire connaître la définition d’un agissement sexiste, apprendre que c’est interdit et sanctionnable, faire prendre conscience des conséquences que les comportements, propos, etc. peuvent avoir sur la personne qui en est la cible, informer sur la manière de réagir, inciter à en parler à des personnes qui peuvent agir dans ou même hors de l’entreprise (médecin du travail, Défenseur des droits[15]…), autant de points qui devront être abordés dans des formations ou ateliers de sensibilisation.
– après le constat d’un agissement sexiste : réagir sans tarder avec pédagogie, mais néanmoins fermeté
- Quand un membre de la direction, du service RH ou un manager constate un agissement sexiste soit par lui-même, soit par la « plainte » d’un.e salarié.e, , il doit lancer sans délai, une enquête pour vérifier les faits.
- Si les faits sont avérés et sont des agissements sexistes, une sanction doit être prononcée à l’encontre de son ou de ses auteur.e.s. A tout le moins, un recadrage ferme qui au prochain écart devra être suivi d’une sanction, étant rappelé que cette sanction peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave sans préavis, sans indemnité.
2 L’engagement des représentants du personnel au côté de la direction est primordial
L’engagement de l’ensemble des représentants du personnel est fondamental pour donner du crédit aux actions menées par la direction et insister, au besoin, pour que des actions soient menées et réalisées dans la durée. Il peut s’agir entre autre :
- de mettre en place des indicateurs dans les documents d’information remis aux représentants du personnel (le bilan social ou les informations sur la situation des femmes et des hommes dans l’entreprise). Par exemple, le nombre de « plaintes » enregistrées, le nombre de sessions de formation sur le sujet…
- d’intégrer cette thématique dans l’accord sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes négocié chaque année[16].
- de porter cette question à l’ordre du jour d’au moins 2 réunions par an du CHSCT et demain du CSE.
3 Une prise de conscience nécessaire pour les salarié.e.,s qu’ils ou elles soient l’auteur.e.s. potentiel.le.s ou la cible
Pour créer une véritable prise de conscience et favoriser le changement des comportements, un soin tout particulier sera porté aux modes de communication.
Les voies classiques seront certes utilement utilisées : actions de formation, d’information, de sensibilisation, de communication interne. Pour autant, une attention toute particulière sera apportée aux outils pédagogiques.
Les entreprises devront ainsi veiller à rendre ces actions les plus évocatrices possibles de leur environnement ; les salarié.e.s comprendront mieux de quoi il s’agit s’ils arrivent à reconnaitre et à identifier les situations auxquelles ils ont pu être exposées.
C’est bien une évolution des mentalités qui est visée. Et on le sait, rien n’est plus difficile, long et chaotique que le parcours conduisant à une remise en question personnelle des fondamentaux forgés par son éducation et sa culture. Le tout sans culpabiliser, sans juger, en restant factuel mais néanmoins ferme et affirmé.
Vaste programme… raison pour laquelle tous les acteurs devront donc être mobilisés pour qu’ensemble les actions atteignent l’objectif ! Étant entendu que l’objectif final, est bien de tendre vers une qualité de vie au travail profitable à toutes et à tous, et vers une égalité professionnelle réelle entre les femmes et les hommes !
Perenni’Team Egalité a développé un jeu plateau pour aider les entreprises à répondre aux enjeux de la prévention des agissements sexistes « Agissement Sexiste Non Merci ! ® ». Vous voulez savoir comment le mettre en place au sein de votre entreprise ? Vous avez besoin de conseil sur l’égalité professionnelle femmes-hommes ? Contactez-nous dès maintenant pour en parler !
Marie-Hélène Joron
Présidente de Perenni’Team Égalité
[1] Loi du 17 août 2015
[2] Loi du 8 août 2016
[3] …Avec quelques modifications sur lesquelles nous reviendrons
[4] 80% des femmes interrogées déclarent que les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes et décisions sexistes dans les entreprises et 93 % estiment que leur confiance en elles-mêmes en est amoindrie – étude menée auprès de 15000 salarié.e.s en 2013 par le conseil Supérieur de l’Egalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) et le cabinet LH2
[5] Article L 1142-2-1 du code du travail
[6] Idem que renvoi 5.
[7] Dans les entreprises d’au moins 20 salariés ; dans celles dont l’effectif est inférieur à 20, le chef d’entreprise choisit la sanction sans avoir à s’appuyer sur un texte
[8] Article L 1321-2 du code du travail
[9] Article L 2312-9 du code du travail issu de l’article 1er de l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 ; la mise en place du CSE se fera au fur et à mesure des échéances électorales professionnelles et au plus tard le 1er janvier 2020.
[10] Article L 4121-2 du code du travail
[11] Article L 6111-2 du code du travail
[12] Cass. soc. 8 mars 2017, n° 15-24406
[13] Cass. soc 25 novembre 2015 n°14-24444 – L’obligation de résultat qui présidait jusqu’alors a été remplacée par une obligation de moyen « renforcé ». Cela signifie que l’entreprise pourra invoquer les moyens qu’elle a mis en œuvre pour protéger le salarié, afin de dégager sa responsabilité.
[14] Dans les sociétés où il n’y a pas de délégué syndical, le comité social et économique peut devenir un « conseil d’entreprise » en intégrant le rôle de négociation, de signature des accords d’entreprise.
[15] Les associations de lutte contre les discriminations peuvent aussi être un bon relais.
[16] Depuis les « ordonnances Macron » du 22 septembre 2017, un accord d’entreprise permet de porter à 4 ans maximum la fréquence de négociation sur ce thème. Pour autant, nous préconisons de maintenir un rendez-vous annuel, gage de meilleure efficacité ![/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]