Le sexisme ne se manifeste pas que par des violences
Le gouvernement vient de proposer 15 actions « pour en finir avec les inégalités salariales et lutter contre les violences sexistes et sexuelles » (voir l’article).
Les mots ont leur importance : utiliser le terme de « violences » sexistes c’est prendre le risque de masquer dans l’esprit du plus grand nombre les autres formes de sexisme à la manifestation plus « soft » mais néanmoins toxique.
Pourtant c’est bien à toutes les formes de sexisme que le code du travail s’adresse lorsqu’il interdit tout agissement sexiste.
Le choix des mots est primordial
Dans le dictionnaire Larousse, plusieurs définitions sont données du mot « violence » : des termes reviennent dans chacune pour décrire la violence : brutalité, agressivité, force physique, contrainte physique ou morale…
Wikipédia retient que la « violence est l’utilisation de force ou de pouvoir physique ou psychique, pour contraindre, dominer, tuer, détruire ou endommager. Elle implique des coups, des blessures, de la souffrance … ».
Ces définitions soulignent le caractère éminemment « brutal », « agressif », insistent sur la « contrainte physique ou morale », ; elles évoquent également ses objectifs : dominer, contraindre, détruire…
Or, ce qui se joue dans le sexisme, spécifiquement au travail n’est pas réduit à sa violence, au sens littéral du terme.
Utiliser ce vocable présente un danger : celui de cacher le visage le plus courant et néanmoins dévastateur du sexisme, le sexisme ordinaire. Il est beaucoup plus difficile à identifier du fait de sa banalisation.
Il est insidieux car souvent, son auteur.e, comme sa cible d’ailleurs, n’a pas conscience que les propos qu’il tient ou le comportement qu’il a, sont du sexisme : pas de violence à proprement parler dans la manifestation de l’acte ou du propos sexiste ; pas d’objectif malsain dans la majorité des cas. Et pourtant, autant de situations du quotidien qui agissent à petit feu et peuvent avoir des conséquences délétères pour les femmes qui en sont le plus souvent la cible (1)
80% des femmes salariées considèrent que, dans le monde du travail, elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes ; 90% d’entre elles considèrent qu’il est plus facile de « faire carrière » pour un homme. Enquête menée par le CSEP et LH2 – 2013.
Non, les agissements sexistes interdits par le code du travail ne se réduisent pas aux « violences sexistes »
Rappelons l’article L L1142-2-1 du code du travail, introduit en 2015, qui dispose « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Nulle question de violence au sens littéral du terme.
En 2015, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) définit à son tour le sexisme au travail : « Le sexisme au travail s’entend de toute croyance d’une part, qui conduit à considérer les personnes comme inférieures à raison de leur sexe ou réduites essentiellement à leur dimension sexuelle et, d’autre part, de tout geste, propos, comportement ou pratique, fondés sur une distinction injustifiée entre les personnes en raison de leur sexe, et qui entraînent des conséquences préjudiciables en termes d’emploi, de conditions de travail ou de bien-être. Il inclut des actes allant du plus anodin en apparence (par exemple les blagues ou remarques sexistes) à la discrimination fondée sur le sexe, le harcèlement sexuel, le harcèlement sexiste, le harcèlement moral motivé par le sexe de la personne, l’agression sexuelle, la violence physique, le viol ». (1)
Cette définition illustre bien les différentes manifestations du sexisme, des plus anodines jusqu’au viol…
Le sexisme est un sujet largement méconnu (2) ; il véhicule des croyances qui s’appuie sur des idées germées par l’éducation et entretenues par la culture ambiante. Ainsi, demander à une femme parce qu’elle est femme de faire du café dans une réunion, lui couper la parole plus souvent qu’à un homme, l’appeler « ma cocotte » ou « ma petite chérie » parait au mieux sympathique au pire inélégant. Mais beaucoup n’appelleraient pas ces situations « sexisme ».
L’utilisation du mot « violence sexiste » risque de faire penser à un grand nombre que ce qui est répréhensible dans le sexisme est ce qui s’accompagne de violence, dans sa manifestation comme dans son objectif ou ses effets. C’est un écueil dans lequel il est facile et dangereux de tomber.
Car du coup, c’est faire fi des dégâts que peuvent provoquer à moyen/long terme des mots, des gestes, des comportements, jugés « sympas », « galants », paternels ou maternels, mais qui distillés à petite dose, chaque jour, ont des effets néfastes et peuvent impacter plus que l’on ne croit la carrière professionnelle de celui ou de celle qui en est la cible.
C’est plus à une prise de conscience que nous convie le code du travail ; nous faire prendre conscience que des propos ou des comportements jugés jusqu’alors comme banals que ce soit de la part de son auteur.e comme de sa cible, sont du sexisme et en tant que tels interdits.
Et c’est bien contre tout le sexisme, quelle qu’en soit sa manifestation, violente ou non, qu’il faut lutter !
Marie-Hélène Joron
Conseil et formatrice en égalité professionnelle et règlementation sociale
Présidente et fondatrice de Perenni’Team Egalité
Créatrice du jeu « agissement sexiste non merci »®
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(1) Voir le rapport du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n°2015-01 publié le 6 mars 2015 « Le sexisme dans le monde du travail entre déni et réalité »
(2) Noémie Le Menn nous éclaire utilement sur le sexisme et ses mécanismes. Elle nous invite à nous en libérer dans un guide pratique paru aux éditions Interéditions « Libérez-vous des réflexes sexistes au travail » – janvier 2018